09 November 2016

Cette année, on a fêté les 30 ans de l’accident de Tchernobyl. Enfin, fêter n’est certainement pas le verbe le plus adéquat. Il y a 30 ans, le monde connaissait sa première catastrophe nucléaire, la plus importante jamais atteinte sur l’échelle du International Nuclear Event Scale (INES) avec un 7…

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Texte et photos : Tony da Silva


J’avais 13 ans quand s’est produit cet événement et je me souviens distinctement des informations télévisées qui disaient qu’un incident avait eu lieu derrière le rideau de fer. La Suisse se disait relativement épargnée alors que pour les français, c’était le déni le plus total… Les nuages radioactifs s’étaient arrêtés aux frontières ou presque. La peur du chômage ou d’une éventuelle grève avait certainement fait rebrousser chemin à ces particules ionisantes.

Sans pouvoir réellement l’expliquer, cet événement est resté gravé dans mon esprit, il s’est immiscé dans mes songes et j’ai souvent repensé à cette ville évacuée en quelques heures peu de jours après l’explosion. Des milliers de personnes évacuées par bus avec seulement quelques affaires personnelles et qui ont tout laissé derrière elles, une ville est devenue fantôme.

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Pripiat

En réalité, l’Union Soviétique a évacué 94 villages et villes dans les deux ans qui ont suivi l’explosion et dont Pripiat était l’agglomération la plus importante avec environ 50’000 habitants. Cette ville a été créée de toutes pièces quand le premier réacteur nucléaire de Tchernobyl est entré en fonction en 1970, à 3 km de là. Pripiat avait pour vocation de reprendre le rêve de Leonardo da Vinci et d’être la cité idéale, car sa croissance était parfaitement planifiée et synchronisée avec la centrale nucléaire. En gros, pour chaque réacteur nucléaire mis en production, la ville gagnait 10’000 habitants.

Pour ceux qui ont suivi et se souviennent des événements, la centrale de Tchernobyl avait quatre réacteurs en fonction. C’est le 4ème qui s’est emballé avec une réaction en chaîne incontrôlée (Wiki raconte ça mieux que moi)… Toutefois, un cinquième réacteur était pratiquement terminé et la construction d’un sixième avait débuté. En tout, l’Union soviétique avait prévu de construire 12 réacteurs nucléaires sur ce site et la ville devait culminer à 120’000 habitants.

Las, l’accident de 1986 mis fin à ce rêve, donnant un sacré coup de frein à l’industrie nucléaire et ce au niveau mondial.

Autour de l’année 2000, je suis tombé sur un article extraordinaire, une sorte de blog dans lequel une jeune physicienne nucléaire ukrainienne racontait sa visite à Pripiat avec une puissante moto (le site n’est plus atteignable). Son récit était sidérant ! D’une part elle racontait une histoire qui ressemblait à une expédition face à un mal invisible dans une ville fantôme et, d’autre part, elle racontait l’ivresse de rouler à travers une ville déserte à 200 km/h.

Ma décision était prise et il fallait que je visite moi aussi cette ville mais en 2000, la tâche était encore compliquée avec une région sinistrée et un sarcophage sur le réacteur 4 qui était aussi étanche qu’un pull angora sous la pluie.

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Se rendre sur place

Depuis quelques années, un camarade hongrois qui passe sa vie entre Budapest et Odessa me racontait que c’était nettement plus facile d’organiser une expédition dans cette région et de faire le plein d’images. Soit, mais je n’ai jamais pris ou voulu prendre le temps de faire le voyage, car je pense qu’inconsciemment je ne voulais pas toucher à ce souvenir enfoui dans mon esprit.

Et puis un jour, un peu par hasard et profitant d’un trou de quelques jours dans mon agenda, je me suis dit « pourquoi pas ». Le moment était propice puisqu’après 30 ans, la végétation commence à prendre le dessus et, alors que la zone est sous protection militaire, il n’est pas certain que les autorités laissent encore longtemps ce petit manège se dérouler car certains bâtiments ont bientôt 50 ans. Sans entretien et laissés au quatre vents, certains finiront bien par s’effondrer un jour… avec ou sans visiteurs.

Se rendre sur place n’est pas très compliqué et, à l’exception de rejoindre Kiev, il faut faire appel à une agence locale habilitée à organiser des visites dans les deux zones. En effet, il y a d’abord une zone située à environ 30 km du site et une seconde située à 10 km. Chacune est surveillée et gardée par l’armée et un contrôle systématique des identités est effectué à chaque checkpoint. En plus de ça, des vêtements adéquats (manches longues, pantalons, etc.) sont obligatoires même si, techniquement parlant, des habits classiques ne protègent pas franchement des rayons.

Le départ se déroule en bus de 7 à 12 personnes à 8h00 du matin avec un retour en fin de journée, selon l’état du trafic. Le trajet en lui-même n’est pas désagréable mais les routes sont passablement dégradées et le retour est long après une journée chargée d’émotions. Dans certain bus, un film des années 2000 retrace assez bien tout ce qui s’est déroulé pendant et après ce fameux 26 avril 1986.

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La visite

Sur demande, un dosimètre est disponible et il permet de mesurer les mSv/h que vous recevez. Il vous sera utile si vous voulez sortir des sentiers battus ou si vous désirez connaître tous les sieverts absorbés durant la journée.

Notre guide est russo/ukrainien et, il faut bien l’avouer, il est parfois difficile de faire la part des choses entre des faits historiques et des rumeurs, tant le ressentiment anti-russe est fort. Ceci dit, m’étant passablement documenté sur cet accident au cours de ces dernières années, j’ai appris que certains faits sont hallucinants et je ne citerai que deux exemples. Le premier est lié à l’évacuation elle-même de Pripiat qui a pris un certain temps pour des questions logistiques alors que la ville se trouvait à seulement 3 km de la centrale. Le second, c’est le nombre officiel de morts (environ 40) suite à une enquête diligentée par l’ONU. Effarant.

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Le tour fait quelques arrêts avant d’arriver à Pripiat et c’est malin, car notre guide nous met gentiment en condition avec des arrêts à répétition pour voir parfois juste des détails. Des villages sont souvent méconnaissables à cause de la végétation ou simplement, de l’effondrement des maisons. Puis, au détour d’une route à sens unique composée d’un revêtement spécial pour engins blindés et autres lance-missiles sur plusieurs kilomètres en plein milieu de la forêt, le bus s’arrête à l’entrée d’une base secrète (enfin, elle était secrète) et toujours gardée par l’armée (encore un checkpoint). C’est le site du radar Duga, une infrastructure gigantesque qui fonctionnait en tandem avec une structure identique située sur la route du pôle nord. But de cette affaire ? Écouter l’éventuel lancement de missiles intercontinentaux américains afin de lancer une riposte ! Le site a été mis en service en 1984 et, bien entendu, deux ans plus tard, il a été arrêté au moment de l’accident nucléaire.

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Je vous fais grâce du passage à la centrale nucléaire ainsi que du déjeuner pris à la cantine de la centrale, c’était assez surréaliste de voir tout ça de ses propres yeux et déroutant de manger quelque chose à quelques centaines de mètres du réacteur 4 et de son sarcophage tout pourri. D’ailleurs, les radiations à sa proximité sont trois à quatre fois plus élevés que dans la zone… mais toujours dix fois moins élevés que certaines zones mal décontaminées où le compteur s’affole un peu (rien de vraiment dangereux par rapport à la durée d’exposition).

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Bref, on arrive enfin à Pripiat et c’est une longue balade à pied qui nous attend au travers de cette ville autrefois habitée et animée par 50’000 habitants. Là encore, notre guide nous fait suivre un chemin spécifique en nous faisant passer par la maison du peuple, une place foraine, un gymnase, le stade de foot (avec une forêt sur le terrain), une piscine intérieure et, pour finir, une école. C’est ce site qui m’impressionne le plus car aux étages (il faut quitter le groupe qui reste au rez-de-chaussée), tout semble s’être arrêté il y a peu. Les autres bâtiments ont clairement été saccagés ou pillés mais ici, rien de tel… dans les classes, les chaises sont encore sur les tables comme si les élèves allaient bientôt revenir et ce malgré les vitres ou livres qui sont tombés des étagères en bois. J’aurais aimé passer des heures dans ce lieu.

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Enfin, on reprend le bus pour se rendre dans la partie dortoir de Pripiat avec des bâtiments qui font 16 étages et qui reflètent la dernière partie de la vie de cette ville (la partie plus ancienne a des bâtiments qui ne dépassaient pas trois étages). Le bus s’arrête et notre guide nous lance en posant un regard sur un de ces HLM : “Ce bâtiment est à vous pendant une heure, visitez ce que vous voulez mais ne faites pas de bruit…” Je calcule rapidement l’affaire: 16 étages multiplié par au moins 6 appartements par étage égal 96 appartements. Je ne pourrai pas tous les visiter, j’irai donc au hasard.

L’ivresse des premiers étages passée, je me retrouve seul au 4ème à errer dans un long corridor à peine éclairé par une porte-fenêtre située au fond. Bien sûr, je rentre d’abord dans un appartement dont la porte est ouverte et le silence me semble assourdissant. Je marche à pas feutrés comme si j’avais peur de tomber sur les habitants et me demande ce que je vais bien trouver derrière chaque porte. Ici la cuisine, là le salon et, après une autre porte, la salle de bain. Au fil des étages et des appartements, je réalise que les habitations ont été saccagées et pilées. Les WC sont bouchés au ciment, probablement pour décourager les gens de s’installer, et la plupart du mobilier a disparu, à quelques rares exceptions.

Le discours officiel affirme que le mobilier a été évacué car il était contaminé… perso, j’ai plutôt l’impression que, dans les premières années, certains sont venus se servir et j’en veux pour preuve les cuisinières désossées de leur métal ou les balustrades entre étages soigneusement découpées. De plus, certains appartements ont encore du mobilier qui jonche le sol, comme armoires, cadres de lit ou canapés.

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Conclusion

À quelques jours d’une votation sur le futur du nucléaire en Suisse, cette visite a le mérite d’éclairer d’une façon crue les conséquences concrètes d’un accident nucléaire. Ceci dit, le nucléaire en Suisse nous permet de répondre à 40% de nos besoins en électricité. Remplacer cette manne par des moyens alternatifs, non polluants et qui nous permettront de rester indépendants, c’est un défi qui, à mon avis, ne semble pas près d’être rempli par des “yaka” et “faucon”. Il suffit de voir comment les projets d’éoliennes et panneaux solaires se développent… Au mieux, ils sont ridicules au niveau de la puissance délivrée, au pire, les projets sont bloqués pendant des dizaines d’années.

Cela n’enlève rien au fond de ma visite car, par bien des aspects, cette journée fut riche en émotions. Pripiat est le parfait exemple d’une ville évacuée suite à une catastrophe et qui est restée livrée à elle-même. La nature reprend ses droits malgré une radioactivité bien présente et les animaux comme des chevaux (sauvages), des sangliers, etc. n’hésitent pas emprunter les axes routiers pour se déplacer, tant la forêt a gagné en densité au fil des ans. D’ailleurs, la végétation gagne la ville et le stade de foot offre des gradins sur une forêt haute de plus de 15 mètres.

Il y a d’autres sites de ce genre dans le monde mais aucun n’est aussi récent, hormis, peut-être, certains sites au Japon dans la zone de Fukushima.

Je recommande pleinement une immersion.

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